Réductions de services à la STM: l’offre de transport collectif est aussi un enjeu d’équité

INTERACT
6 min readNov 10, 2021

Simon Paquette

Crédit photo : Zvi Leve

La pandémie n’a pas été de tout repos pour le transport collectif montréalais. La Société de transport de Montréal (STM) a enregistré jusqu’à 80% de perte d’achalandage au plus fort de la pandémie et était revenue, début octobre 2021, qu’à 51% dans le métro et à 56% dans les autobus, comparativement à des périodes équivalentes pré-pandémie. Montréal souhaite transférer 25% des déplacements réalisés en auto solo vers des modes plus durables d’ici 2030, ce qui permettrait d’atteindre 31% des déplacements en transport collectif en 2031. Pour l’instant, rien n’indique une atteinte de ces cibles, car « une hausse de 256 000 déplacements quotidiens en auto est anticipée d’ici 2036 dans l’agglomération, par rapport à 2013 » .

Les usagers, usagères contribuaient à près du tiers du budget du transport collectif avant la pandémie, la lente reprise de celui-ci a forcé la STM à envisager des réductions de services supplémentaire allant de 5 à 30% de son offre pour 2022. L’offre de service actuelle représente 90 à 95% de celle précédant la pandémie. Bien que le gouvernement du Québec assure vouloir éviter des réductions de services, aucune entente ne semble avoir été trouvée jusqu’à présent. À l’hôtel de ville de Montréal, les avis divergent sur l’offre entre un maintien complet du service et une réduction de passage d’autobus sur les lignes les moins achalandées.

Tant les cibles que les effets de la pandémie doivent être analysés à l’aune de l’équité en santé, car les systèmes de transports et les inégalités sociales ont des impacts significatifs sur la santé et le bien-être. Toute politique peut avoir des effets additionnels sur la répartition des opportunités et sur les stratifications sociales et spatiales préexistantes. Avant la pandémie, tout le monde ne vivait pas les transports de la même façon, mais la pandémie a exacerbé ces écarts. Pour des quartiers comme Montréal-Nord, loin du centre-ville, où résident beaucoup de travailleurs essentiels et où une personne sur dix a été infectée par la COVID-19, la mobilité a été une composante importante de l’expérience de la pandémie.

L’expérience à Montréal-Nord comme dans d’autres quartiers peut être en partie comprise par le biais de l’offre de service de la STM. Celle-ci a optimisé son service de manière à limiter les pertes de revenus et en conservant un maximum d’achalandage. Or, les changements de service de la STM ont affecté disproportionnellement les quartiers ayant de plus bas revenus. La STM a réalisé des réductions limitées, contrairement à plusieurs villes dans le monde où les baisses ont été plus drastiques. On ne peut toutefois pas se soustraire d’analyser les besoins différenciés en transports et intégrer l’équité. En ce sens, le statut socioéconomique (SSE) est fondamentalement intriqué aux niveaux de revenu et d’éducation et au type d’occupation, lesquels sont affectés et constituent les bases des choix de transports et de désavantages environnementaux.

Pour mieux comprendre les impacts des aménagements urbains sur la santé dans un contexte de pandémie, l’équipe INTERACT a récolté des données durant la seconde vague de la pandémie, auprès d’environ 600 personnes du Grand Montréal. Les questions portaient sur l’expérience de pandémie la plus fermée (probablement au printemps 2020 pour la plupart) et durant le contexte de réponse au questionnaire, de septembre 2020 à janvier 2021. Ces données nous permettent notamment de comparer les réponses selon le statut socio-économique du quartier dans les changements de déplacements et dans le maintien au travail sur place.

Le premier constat n’a rien d’étonnant : les gens se déplaçaient beaucoup moins qu’avant la pandémie, que ce soit en transport en commun et en automobile, mais même à vélo, malgré une médiatisation forte du cyclisme en 2020. Ainsi, seule la marche a gagné en popularité ; on rapporte une augmentation nette d’environ 25% de la marche au sein de la cohorte INTERACT.

Si l’on se concentre sur les changements d’utilisation du transport collectif, on note qu’il y a différence importante entre les quartiers. Dans les quartiers au SSE plus faible, il y a eu une diminution moins importante de l’utilisation des transports collectifs que dans les quartiers plus nantis. Ainsi, les changements nets d’usage du transport collectif représentent une baisse de 9% plus élevée dans les quartiers plus aisés durant le confinement strict et de 11% durant le contexte de réponse au questionnaire (voir tableau suivant).

Changements nets de l’utilisation régulière des transports collectifs par période

Une raison qui pourrait expliquer ces différences est la présence de plus de personnes ayant un travail essentiel dans les quartiers avec un faible SSE. Nos données montrent effectivement que plus de personnes de ces quartiers se sont déplacées vers le travail (voir tableau suivant).

Proportion de la cohorte s’étant déplacée vers le travail par période et quartier

Les travailleurs, travailleuses qui continuaient à se rendre à leur emploi et qui ne pouvaient pas passer au télétravail comme le personnel de la santé étaient essentiels au fonctionnement de la société et dépendaient davantage du transport collectif. Ces travailleurs ont moins de flexibilité au niveau de leur horaire, rendant l’efficacité et la fiabilité des transports collectifs encore plus importantes.

Les moins grandes baisses d’utilisation des transports collectifs durant la pandémie dans les quartiers à plus faible revenu peuvent aussi être expliquées par moins d’options de transports : précarité empêchant le plus onéreux choix de l’automobile, faible niveau de potentiel piétonnier ou marchabilité du quartier et peu de réseaux cyclables sécuritaires. De plus, le transport collectif, comparativement à la marche et au vélo, peut offrir une vitesse plus adaptée lorsqu’on habite plus loin, là où la valeur foncière peut être plus raisonnable pour y résider avec un budget moins élevé. L’ensemble de ces éléments font en sorte que ces populations dépendent du transport collectif davantage et sont donc plus affectés par les changements au réseau.

En somme, les autorités publiques ont un important pouvoir d’agir pour faire face aux iniquités sociales et spatiales, surtout en contexte de crise. Les administrations de Montréal et du Québec ont posé certains gestes qui ont pu permettre d’éviter une situation pire qu’elle ne l’a été, soit en gardant un maximum de services et en aidant financièrement les sociétés de transport. Les autorités publiques ont l’occasion de continuer ou améliorer cette approche en évitant des réductions de service à la STM et adressant les iniquités dans l’utilisation du service, car une éventuelle décision de réduire le service de la STM aurait des conséquences dans les années à venir, tant sur la possibilité d’augmenter son achalandage général que d’offrir un meilleur service à des quartiers qui ont plus de besoins. Considérer les inégalités relatives aux options et durées de déplacements, enracinées dans les milieux d’emploi et de vie, pourrait permettre de mitiger les stratifications préexistantes, de soutenir l’égalité des chances et l’inclusion sociale et de se rapprocher des cibles en mobilité durable. Dans le contexte de la relance post-pandémie, où la population canadienne fait de l’environnement sa priorité, mieux rebâtir nos villes et nos systèmes de transports est crucial et intégrer une lunette d’équité à la STM est une des clés pour y arriver adéquatement.

Simon Paquette est un étudiant à la maîtrise à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Il s’intéresse aux inégalités sociales et environnementales de santé et aux politiques publiques. Dans le cadre de son mémoire, il étudie les inégalités d’effets de l’environnement bâti sur l’activité physique avec les données montréalaises des études INTERACT et REM.

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INTERACT

CIHR-funded research team harnessing big data to deliver public health intelligence on the influence of urban form on health, well-being, and equity.