Lorsque le nouveau Campus MIL de l’Université de Montréal a ouvert ses portes l’année dernière, des groupes communautaires se sont mobilisés pour dénoncer les impacts potentiels du campus sur les environs. Ils craignaient voir la transformation de l’ancienne gare d’Outremont accélérer les processus de gentrification et menacer le tissu social du quartier avoisinant de Parc-Extension.
Comme projet phare du plan de développement durable de l’Agglomération, le Campus MIL promettait des améliorations à l’espace public, notamment l’une des premières pistes cyclables protégées surélevées de la ville, plus de quatre hectares de parc et d’espaces publics, et un nouveau passage piétonnier reliant le campus aux transports en commun et aux zones voisines. Les avantages de ces aménagements durables se répercuteraient sur les zones voisines, revitalisant l’environnement urbain et améliorant la qualité de vie des résidents.
Un an plus tard, des groupes communautaires de Parc-Extension, l’un des quartiers les plus pluriethniques de Montréal et le deuxième quartier le plus pauvre au Canada, signalent que les loyers montent en flèche, les rénovictions sont de plus en plus fréquentes et les rares logements familiaux accueillent maintenant des collocations d’étudiants.
Alors qu’une meilleure accessibilité à d’autres quartiers, une infrastructure de transport actif améliorée et des espaces publics de qualité devraient se traduire par de meilleurs résultats de santé pour les résidents de Parc-Ex, les processus de gentrification peuvent avoir des effets néfastes, en affectant la cohésion et le capital social des communautés et en mettant des populations vulnérables à risque d’être déplacées. Les chercheurs voient la gentrification, ou l’embourgeoisement comme étant un processus dans lequel les quartiers autrefois en déclin et sous-financés subissent le réinvestissement et l’arrivée de nouveaux résidents de plus en plus aisés.
Conséquences inattendues
Le design urbain peut être utilisé comme un outil pour tenter de corriger les inégalités de santé dans les quartiers défavorisés et améliorer la santé de la population en général, mais il peut également avoir des conséquences inattendues. À long terme, ces interventions urbaines pourraient-elles avoir des bénéfices surtout pour la santé des nouveaux résidents plus aisés, attirés par ces commodités, plutôt que pour la santé de ceux qui y vivent déjà? Ces interventions contribuent-elles à l’augmentation des coûts de logement, aux risques d’éviction, à la réduction de la cohésion sociale et au délogement des résidents de longue date? Ces questions sont au cœur du nouveau mandat d’INTERACT.
L’année dernière, INTERACT a reçu un financement supplémentaire des IRSC pour développer notre travail sur les inégalités en santé, et plus particulièrement sur les processus de gentrification à Montréal. Depuis 3 ans, notre équipe suit une cohorte de milliers de Montréalais pour étudier les effets des interventions contenues dans le plan de développement durable Montréal durable 2016–2020 sur l’activité physique, la connexion sociale et le bien-être des populations. Avec des questionnaires en ligne, des enquêtes cartographiques, une application pour téléphone intelligent et des capteurs, INTERACT utilise des données massives pour fournir aux décideurs des données probantes sur les impacts d’un design urbain sain et équitable.
En nous basant sur ces travaux, nous documentons les dynamiques de gentrification et ses effets sur la santé. Les interventions en aménagement et design urbain contribuent-elles à la gentrification? Quels sont les impacts à court et à long terme de la gentrification? Quelles conditions exacerbent les conséquences négatives de la gentrification? Qui n’est pas pris en compte dans la planification et la mise en œuvre des interventions d’aménagement urbain? Plus précisément, nous visons à :
- Documenter où les interventions urbaines telles que les nouvelles pistes cyclables sont déployées. Ont-elles été mises en œuvre dans des zones avec moins d’infrastructures cyclables ou d’accès à des options de mobilité?
- Évaluer si les interventions urbaines mènent à la gentrification ou si la gentrification mène à de nouvelles interventions urbaines, ou bien les deux se produisent
- Mesurer l’impact des interventions urbaines et de la gentrification des quartiers sur l’activité physique, les liens sociaux et le bien-être
- Analyser si les impacts varient entre les personnes à faible revenu qui ont été déplacées des quartiers gentrifiés et les personnes qui ont pu rester dans leurs quartiers
- Construire un outil de simulation pilote pour présenter l’impact de divers scénarios d’intervention d’aménagement urbain sur la santé de la population, la gentrification et les inégalités en matière de santé.
On en sait peu sur les relations complexes entre les interventions urbaines, la gentrification, la dynamique et la perception des changements d’un quartier, la santé populationnelle et les inégalités de santé. Comme l’explique la postdoctorante INTERACT Caislin Firth, les preuves causales reliant la gentrification à la santé sont limitées. En partie, cela est dû à l’absence d’une définition claire et cohérente de ce qu’implique la gentrification et des indicateurs pour la mesurer.
C’est pourquoi notre équipe s’est associée à CANUE pour présenter GENUINE, l’outil de gentrification, d’interventions urbaines et d’équité. L’outil permet aux intervenants d’identifier les zones à risque de gentrification et les zones qui ont récemment subi la gentrification dans les villes canadiennes, en se basant sur quatre mesures existantes utilisées au Canada et aux États-Unis. Sans recommander une mesure plutôt qu’une autre, elle propose des mesures communes pour aider à l’évaluation des politiques et aux études évaluant les impacts potentiels sur la santé des processus de gentrification. Les ensembles de données sont disponibles sur le portail de données de CANUE, sous la couche Neighbourhood.
Pour les regroupements citoyens, les organismes communautaires, les urbanistes et les promoteurs, la discussion entourant la gentrification va bien au-delà des questions méthodologiques. La gentrification est un mot puissant qui peut vouloir dire différentes choses pour différentes personnes et peut galvaniser le discours public sur le développement urbain.
Pour mieux comprendre le contexte et les différentes façons de discuter de la gentrification, notre équipe a passé au peigne fin des articles de journaux de 2016 — la dernière année de recensement de Statistiques Canada — à Montréal et à Vancouver pour avoir une idée du discours sur la gentrification dans ces villes. L’analyse est en cours, mais déjà ce qui ressort, c’est que les débats sur la gentrification peuvent être enflammés. Les reportages des médias sur les processus de gentrification non seulement sensibilisent le public à la question, mais peuvent également jouer un rôle clé dans la production d’un récit et façonner la perception du public ainsi que la réponse politique à ce phénomène.
Cet automne, nous recrutons des milliers de personnes pour se joindre à notre cohorte INTERACT existante à Montréal. Nous voulons savoir comment les personnes exposées aux processus de gentrification ont vécu les changements dans leur ville et les impacts sur la santé qu’ils ont pu avoir. D’après nos données de 2018, 66% des gens dans notre cohorte pensaient qu’il devenait plus difficile pour les résidents à faible revenu de rester dans leur quartier.
Pour INTERACT, le but est de fournir des données probantes aux décideurs et développer des outils concrets pour aider à attaquer un problème épineux : comment les urbanistes peuvent-ils mettre à profit l’aménagement urbain pour atténuer les inégalités de santé dans les quartiers, tout en réduisant leurs conséquences néfastes inattendues?
Pour vous joindre à la recherche, visitez-nous à equipeinteract.ca/gentrification